1. En ce trente-troisième dimanche du Temps Ordinaire, Journée mondiale pour les pauvres, nous sommes rassemblés pour écouter la parole de Dieu et rendre grâce au Seigneur pour ses merveilles. Dans son infinie bonté, et sans aucun mérite de ma part, il m’a élevé à la dignité cardinalice.
2. Je remercie de tout cœur le Saint-Père, le Pape François, pour cet honneur qu’il fait à toute la Nation congolaise. Je reste particulièrement reconnaissant envers le Chef de l’Etat et toutes les autorités politico-administratives, civiles, militaires et religieuses de notre pays ; envers vous les filles et les fils de la RD Congo, pour votre engagement, votre implication et, surtout, votre totale participation à la célébration de cet événement.
3. Le cardinalat est certes un honneur, mais il est beaucoup plus une charge et une mission lourdes et délicates qui débordent le seul cadre de la RD Congo. Je compte donc sur vos prières pour bien accomplir cette mission. D’ailleurs, la parole de Dieu que nous venons d’entendre nous éclaire sur quelques éléments de cette mission. J’en retiens trois essentiels pour ce jour.
II. La parole de Dieu : pour un Congo renouvelé
a) Premier enseignement : Engagement de Dieu et fraternité
4. Dans la première lecture, le prophète Malachie nous présente un Dieu qui vient au milieu de son peuple pour le purifier de tout ce qui nie sa dignité d’enfants de Dieu. Il dit : « Voici que j’arrive. Tous les « Arrogants », tous ceux qui commettent l’impiété, seront de la paille. Ils seront consumés. Il ne leur restera ni racine, ni branche, dit le Seigneur de l’univers. Mais pour vous qui craignez mon nom, le Soleil de justice se lèvera » (Mal. 3, 19). Qui sont ces « Arrogants » ? Si nous ne faisons pas attention, nous pouvons tous être ces « Arrogants ». Ca peut être moi, toi, nous tous. Pour Malachie, les « Arrogants », ce sont les magiciens qui pratiquent l’occultisme ou des messes noires, les adultères qui mangent à tous les râteliers, ceux qui font de faux serments, qui promettent et ne réalisent rien, ou font exactement le contraire de leurs promesses ; ce sont ceux qui oppriment le salarié ; ceux qui excluent les nécessiteux, représentés par la veuve, l’orphelin et l’immigré (cf. Mal. 3, 5) ; les « Arrogants » marchent sur les petits, les pauvres et les exploitent comme ils veulent. Ce sont ceux qui ne craignent pas Dieu, se bombent la poitrine et se considèrent comme des dieux ; ils veulent qu’ils soient craints, voire adorés. Ils vont même jusqu’à croire qu’ils peuvent tromper Dieu (cf. Ml 3, 8-9). Ils détournent la dîme et le denier destinés à Dieu et aux pauvres et se disent « bienheureux » alors qu’ils mettent Dieu l’épreuve (Ml 3, 15). En venant parmi nous, le Seigneur s’engage donc à faire disparaître toute forme d’injustice causée par les « Arrogants ». Il se met du côté des pauvres, des exclus, des exploités. En d’autres mots, sa venue engendre la fraternité mise à mal par l’arrogance de ceux qui se croient plus forts que les autres, plus forts que Dieu.
5. Eu égard à cela, il y a donc lieu de nous interroger sérieusement sur notre manière de vivre la fraternité – celle voulue par Dieu – là où nous avons a été placés à côté de nos frères et sœurs. Nous sommes tous concernés par cet exercice Dirigeants, administrés, Evêques, prêtres, religieux, religieuses. Quel traitement réservons-nous aux autres ? sommes-nous du côté des Arrogants ou des Craignants Dieu ? La qualité de notre fraternité en dépend.
b) Deuxième enseignement : Espérer un Congo nouveau et meilleur
6. La fin du règne des « Arrogants » est symbolisée, dans l’évangile, par la destruction du Temple : « ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit » (Lc 21, 6). Le Christ met ainsi en garde contre le culte extérieur qui n’est pas un culte que l’on célèbre « en esprit et en vérité » parce qu’il ne se préoccupe guère de chercher, de discerner « la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait » (Rm 12, 2). La destruction du Temple annonce en même temps l’avènement d’une ère nouvelle, des temps nouveaux dans la relation du croyant avec son Créateur. La vraie religion est celle qui invite à aimer, à donner et à se donner pour que les autres vivent mieux, rayonnant de la dignité d’enfants de Dieu. C’est celle qui construit la civilisation de l’amour et non pas celle de la mort. Il est impératif que nous prenions des résolutions concrètes de changement de comportement. Débarrassons-nous des antivaleurs qui ont élu domicile dans notre pays, l’ont détruit et ruiné ? Tournons ensemble le regard vers l’avenir.
c) Troisième enseignement : la responsabilité
7. En partant de la 2ème lecture, nous comprenons effectivement que le temps de la responsabilité individuelle et collective a sonné, sinon le Congo va vers sa perdition. L’Apôtre Paul interpelle vivement les Thessaloniciens qui sombraient dans la paresse et leur dit clairement que ce n’est pas en restant assis et les bras croisés qu’adviendra le monde nouveau. Ainsi, le Congo ne changera pas si nous ne nous mettons pas à travailler ensemble, et avec l’aide de Dieu, pour sa noble cause. Chacun doit, en suivant l’exemple de Paul lui-même, travailler, de ses propres mains, pour vivre et faire vivre dignement. Car travailler est un ordre de Dieu qui invite l’homme à participer à l’œuvre de la création. En travaillant, l’homme accomplit sa dignité d’enfant de Dieu.
8. En parlant de la responsabilité, je suis particulièrement très préoccupé par certaines situations sociales de notre peuple devant lesquelles j’exprime toute ma souffrance et ma peine.
- Premièrement, Je salue et encourage avec grande joie le projet de la gratuité de l’enseignement. C’est ce que l’Eglise catholique souhaitait et appelait de tous ses vœux depuis de très longues années. Cependant, pour ne pas compromettre ou négocier la qualité de cette éducation de base, que le pouvoir organisateur assure immédiatement les mesures efficaces d’encadrement : améliorer les infrastructures (augmentation des salles de classe et des bancs), le versement conséquent des frais de fonctionnement, la mise en application effective des différents paliers des salaires (2ème et 3ème), clarifier la situation des Nouvelles Unités (N.U) et les Non payés (N.P). Je souhaite vivement que le Gouvernement dialoguera assez rapidement avec les professionnels de l’éducation pour que cesse immédiatement les grognes et arrêts des cours constatés ici et là. Aux enseignants catholiques, je répète ce que j’ai dit à l’ouverture de l’année pastorale, le samedi 02 novembre 2010 : « Au nom du principe de cohérence chrétienne, j’invite tous les personnels de nos écoles à soutenir et à accompagner la gratuité de l’enseignement de base. Ainsi, tout en demandant à l’Etat de remplir ses obligations fondamentales, je demande à tous les professionnels de l’éducation catholique de s’adapter à la situation pour alléger la peine des parents ». Nous ne souhaitons plus revenir au système de prise en charge des enseignants par des parents.
- Deuxièmement, l’épiscopat congolais est hautement préoccupé par la situation sanitaire, avec la maladie à virus Ebola qui ne cesse de compter ses victimes. C’est pour moi l’occasion de saluer les efforts louables du Docteur Muyembe. Il y aussi la situation sécuritaire précaire à l’Est du pays (Beni-Butembo, Ituri, le Haut Plateau de Fizi et d’Uvira) qui préoccupe les Evêques du Congo ; là où, se servant et animant des conflits entre nos différentes communautés, de troupes armées étrangères se battent sur notre sol. Malheureusement, cela persiste depuis des longues et pénibles années, comme si c’était une situation voulue et volontairement organisée par une poignée des personnes (des Arrogants). Cela cause de profondes douleurs dans notre cœur de Pasteur. Tout en saluant les efforts entrepris par les autorités de l’Etat, il convient de considérer que trop, c’est trop. Il est temps que tous les citoyens congolais vivent dans la paix et la sécurité grâce au sens de responsabilité de chacun et chacune de nous. L’attention aux pauvres à laquelle nous invite le Pape François et le sens de responsabilité impliquent que, particulièrement les responsables doivent s’engager :
1/ à créer très vite un climat d'apaisement par la cessation des hostilités sous peine de voir la situation dégénérer et embraser toute la région ;
2/ à restaurer rapidement l'autorité de l'Etat au travers des services de la Police nationale, de l'Armée, de la Migration, etc. pour sortir cette partie du pays de l'état de non- droit,
3/ à dégager de la région toutes les armées étrangères afin de favoriser un véritable dialogue interne capable de nous sortir de la crise;
4/ A l'heure actuelle il se pose surtout le problème d'urgence humanitaire à laquelle nous devons vite répondre tant aux niveaux provincial, national qu'international. Car, il y a sérieusement des besoins en nourriture, en vêtements, en logements décents, en médicaments, en éducation, etc.
- Troisièmement, Arrêtons le paradoxe social : d’un côté, il y a des richesses inouïes (scandale géologique, aime-t-on dire avec beaucoup de fierté), de l’autre côté, il ne faut même pas fournir d’efforts supplémentaires pour être choqué de la criante misère et la crasse dans lesquelles les différents régimes et systèmes sociopolitiques ont impitoyablement plongé la plus grande majorité des peuples, parfois soumis irrésistiblement à la mendicité. Pourquoi prendre plaisir à regarder passivement son frère ou sa sœur souffrir ou croupir dans la misère ? Comme à Caïn, Dieu nous posera cette question : « où est ton frère (…) ? Qu’as-tu fait ? Un cri monte du sol vers moi (Gn 4, 9-10). Rassurez-vous : le jugement de Dieu est réel et sévère. Par ailleurs, dans l’exercice de notre responsabilité collective, je vous invite à compter sur la jeunesse. Je vous avoue que nous disposons d’une jeunesse grande, forte et dynamique. Elle constitue, à coup sûr, une intelligence et une main d’œuvre de qualité pour notre développement. Faisons-la sortir du chômage et donnons-lui l’occasion de participer à la construction de l’avenir de la RD Congo en créent des emplois pour les jeunes. C’est triste d’avoir une jeunesse pleine d’énergie et mourir de faim. Arrêtons définitivement ce paradoxe. Nous en rendrons compte devant Dieu et l’histoire. Car les peuples voisins attendent beaucoup de notre réel essor.
- Quatrièmement, comment ne pas exprimer ma proximité à la population de la Province du Sud-Ubangi qui vit une situation humanitaire inquiétante depuis la grande rivière Ubangi était sortie de son lit, provoquant des inondations qui ont causé d’énormes pertes en vies humaines.
9. Voici maintenant venu le temps de la responsabilité individuelle et collective. En réalité, le peuple est fatigué de des querelles politiciennes complètement inutiles. Le sens de responsabilité veut que nous mettions de côté nos petits intérêts partisans et égoïstes, pour nous concentrer et nous engager sur l'essentiel qui est l'avenir de notre peuple. C’est-à-dire, comment créer ensemble les conditions d'un nouvel avenir rassurant pour notre peuple qui n'a que trop souffert. Au-delà de nos divergences légitimes, nous réussirons ce pari si nous nous mettons ensemble autour des valeurs fondamentales qui fondent une vraie nation : la justice et la paix, la fraternité sans frontière et la communion, l’entente et la concorde, l’honnêteté et la vérité, surtout l’attention au pauvre et le respect de sa dignité humaine. J’en suis très persuadé, frères et sœurs, l’unité de tous autour d’un même objectif, à savoir : l’amélioration des conditions de vie de tout le peuple congolais, est l’unique gage de notre bonheur collectif.
III. Conclusion : appel à la conversion Frères et sœurs,
10. En cette 3ème Journée mondiale des Pauvres, à la lumière de la parole de Dieu, le Pape François nous convie à une grande attention à l’égard des pauvres et, comme Dieu, à répondre à leur situation par des actions concrètes : écouter, intervenir, protéger, défendre, racheter, sauver.
11. Je remercie toutes les personnes et structures qui m’ont adressé de partout des messages de soutien et de félicitation. Je me sens encouragé et réconforté devant la grande mission que je dois exercer avec l’aide de Dieu et la vôtre.
12. Je termine cette exhortation en recommandant notre pays et chacun de vous à l’intercession bienveillante de la Vierge Marie qui, par son Fiat, s’est rendue disponible à la volonté de Dieu. Amen.
Fait à Kinshasa, le 17 novembre 2019
+ Fridolin Cardinal AMBONGO BSUNGU, Ofm Cap
Archevêque Métropolitain de Kinshasa